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Van Erasmus voor Haye/Haio v. Camminga
Uit: Mélanges offerts à M. Émile Picot, tome second, Paris 1913, p. 135-141. Internetbewerking voor Wiebe Bergsma door M.H.H. Engels, 27 maart 2007; met dank aan prof. dr. J. Trapman.
Marie-Louis Félix Alphonse POLAIN
NOTE SUR UN LIVRE PORTANT UN HOMMAGE D'ÉRASME
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La bibliothèque de la ville de Salins du Jura, possède un exemplaire de l'édition des œuvres de Senèque le philosophe, donnée par
Érasme en 1529, et dont le titre est reproduit ci-contre en facsimile.
C'est un petit in-fol. de 8 ffnc., 690 pp., 9 ffnc., avec signatures a8, a-z6 A-Z6,
Aa-Ii6, KK4, Kk[appa]4, Ll4, Mm6, Nn8. Au fnc. 9e final, se trouve ce colophon : BASILEAE EX OFFICINA FROBENIANA || per Hieronymum | Frobenium & Ioannem Hervagium, || Mense
Martio. Anno M.D.XXIX. || Sur le verso, la marque
de Froben, la même que celle du titre.
L'exemplaire
qui est à Salins est couvert d'une reliure du XVIe siècle, en
peau de truie gaufrée et c'est semble-t-il la reliure primitive. Des
deux fermoirs, un seul subsiste etle dos a été refait au XVIIe
siècle, en veau, sans doute par les soins des capucins de Salins
à qui il a appartenu, comme en témoigne ces mots Ad usum
fratrum Capucinorum conventus Salinensis, qui se lisent sur le titre.
Ce qui rend à la fois intéressant et précieux ce volume, c'est
l'hommage suivant qu'il porte : Haioni Caminge Phrisio amico Des. Erasmus Rot. dono dedit. 1529. 3 Id. Ian.
Deux notes de mains plus récentes, écrites un peu au-dess
ous,
à droite et à gauche, montrent qu'à une époque
déja loin de nous, on faisait grand cas de ce Sénèque.
La première dit : Hic manum Des. Erasmi scribentis deosculare.
L'autre note ajoute : Adverte hoc dignum peculiari consideraone [pour
consideratione]
et un astérisque renvoie à la dédicace.
Sous les lignes tracées par
Érasme se voit un nom : P Moreau, à qui,
au
XVIe siècle, le livre a appartenu.
136 Aucun doute ne peut s'élever sur
l'authenticité de l'autographe d'Érasme et nous ne nous
attarderons pas là-dessus.
Nous voulons seulement identifier le
personnage à qui le célèbre humaniste a donné ce
volume et, s'il est possible, expliquer la suite de la destinée de
celui-ci.
Haijo Caminga ou plutôt van
Cammingha fut lié avec la plupart des érudits de son temps et
il
entretenait avec eux les plus cordiaux rapports. Sa biographie complète
est encore à écrire et malheureusement ce que nous en savons se
réduit à peu de chose. C'est dans les très rares lettres
de lui que nous possédons et dans celles de quelques-uns de ses
correspondants que nous avons trouvé les éléments de
l'esquisse suivante.
Il appartenait à une ancienne
famille noble de la Frise, dont plusieurs membres ont laissé des traces
dans l'histoire. Son père, Pieter van Cammingha, seigneur d'Ameland,
joua un rôle important dans la sédition de Leeuwarden en
1487. Il laissa trois fils : Sicco, Wytso (celui-ci lui succéda comme
seigneur d'Ameland) et Haijo qui nous, occupe.
Ce dernier naquit au début du
XVIe
siècle, peut-être en 1503, et c'est à Leeuwarden
qu'il reçut sa première instruction sous la direction d'Antoine
de Cologne. Parmi ses condisciples d'alors il convient de citer Viglius van
Aytta de Zuichem qui, par la suite, lui demeura très attaché.
Haijo Cammingha montra de bonne heure,
paraît-il, un goût très vif pour l'étude et, comme
beaucoup de ses compatriotes, il fréquenta pour se perfectionner les
écoles et les universités des Pays-Bas, de l'Allemagne, de
l'Italie et de la France. Sa vie est errante de même que celle de tant
d'humanistes de ce temps, et il n'est pas aisé d'en suivre exactement
les étapes.
Le Ier mai 1528, après un long
voyage en Allemagne, il arrive à
Dôle, dont l'Université alors florissante attirait beau-
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coup de
Belges. Il y retrouve Viglius Zuichem comme nous l'apprend une lettre de
celui-ci (1). Nous ignorons la durée du séjour de Cammingha
à Dôle, mais nous pensons qu'il se prolongea jusqu'à la
fin
de janvier 1529. Ce serait en cette ville qu'il reçut la lettre
d'Erasme, du 12 novembre 1528 (2).
En février 1529 Cammingha a rejoint
Érasme à Bâle (3) et il vécut avec lui
jusqu'à la fin de 1530, tant à Bâle qu'à Fribourg
(4). Il voyagea alors en Italie, et retourna en passant par Louvain, dans son
pays natal où il se trouve au début de 1532 (5). Il semble avoir
fait alors en Frise un assez long séjour. En 1533, le 2 septembre, il
écrit de Leeuwarden à Érasme dont la prochaine venue en
Brabant lui était annoncée, et il prie son ancien maître et
ami de venir chez lui, mettant à sa disposition sa maison et ses jardins
(6).
Nous pensons que c'est encore à
Leeuwarden qu'il reçut les deux lettres que Viglius lui écrivit
de Spire, le 8 septembre 1535 et le 15 juillet 1536. Dans cette
dernière, Viglius l'engageait fort à se marier, mais Cammingha ne
se laissa pas convaincre, et toute sa vie demeura célibataire
(7).
En 1541 il est de nouveau en voyage.
Une
lettre qu'il écrit à Ausone Hoxvier établit sa
présence à Louvain vers la
1. A son beau-père Bernard Bucho,
datée de Dôle, 1528, 9 mai (dans Analecta belgica de Hoynck
van Papendrecht, II, I, pp. 4-6).
2. Datée de Bâle (dans
Opéra,
édit. Le Clerc, t. III: epistolae, col. 1128-1130)
3. Lettre d'Erasme à Haijo
Hermannus, Bâle, 1529,- 25 février (Epist. III, 1159) et
lettre de Viglius à Érasme, Dôle 1529, 23 mars (Analecta
belgica, II, I, 9-10).
4. Lettre d'Erasme à Gérard
ab Herema, Fribourg 1550, 31 janvier (Epist. III, 1128-1130).
5. Lettre d'Hector Hoxvier à
Érasme, Franeker, 1532, 16 mars (Förstemann et Günther. Briefe
an Desiderius Erasmus dans le 27e Beiheft z. Centralbl. f.
Bibliothekswesen, Leipzig 1904, pp. 200-203).
6. Lettre de Haijo Cammingha à
Erasme, Leeuwarden 1533, 2 sept. (Förstemann et Günther, pp.
228-229).
7. Ces lettres se trouvent à
la
Bibliothèque royale de Bruxelles, Manuscrits II, 1040, ff. 129a-130b
et
6920, pp. 116-117 (lettre du 8 sept. 1535) et ibid.. II, 1040,
ff. 153ab (lettre du 15 juillet 1536).
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fin de mai (1). Il se rend ensuite en
France, à Bourges et à Orléans (2), et ne reprit le chemin
de la Frise qu'en 1542.
Pour cette année nous
possédons deux lettres que lui adressa son vieil ami Viglius.
Celui-ci avait perdu sa mère,
Ida
van Heringa, et Haijo lui avait écrit dans cette circonstance si triste,
une lettre dont la cordialité avait fort touché Viglius qui lui
en exprima sa vive gratitude le 25 février (3). La seconde lettre de
Viglius, datée de Bruxelles 1542, 13 août, nous apprend que
Cammingha revenant en Frise, se trouvait alors à Cambrai (4). Le 18
octobre 1544 il est à Lomme, auprès d'Utrecht, l'hôte d'un
personnage dont il ne dit pas le nom (5).
Après cette date, nous ne savons
rien de précis sur son existence. Son frère Wytso, mort sans
fils
le 10 octobre 1552, lui avait par testament du 25 octobre 1541 (6), laissé la seigneurie d'Ameland, mais il n'en jouit pas longtemps.
Le 19 décembre 1556 il tombait, le
crâne fracassé par un noble frison, Feije Houwerda, devant le
Weeshuis à Leeuwarden.
Les causes de cette mort tragique sont
inconnues et les
1. Datée : Pridie Pentecostis (dans
Epistolarum ab illustribus et claris viris scriptarum centuriae tres quas
passim ex autographis collegit et edidit Simon Abbes Gabbema. Groningue,
1666, in-12. Pp. 537-540).
2. Lettre de Viglius à Haijo
Cammingha, Ingolstadt 1541,28 juillet (mss. II, 1040a de la bibl. royale de
Bruxelles, 199 et 199a).
3. Dans Gabbema, pp. 552-554, et ms.
de
Bruxelles, II, 1040a, f. 11.
4. Mss. de Bruxelles, II, 1040a, pp.
44 et
45.
5. Lettre de Haijo Cammingha à Hector Hoxvier (dans Gabbema,
pp.
540-543).
6. Houwinck (Jan), De staatkundige en
Rechtsgeschiedenis van Ameland tot deze eeuw ... Leiden, Ijdo, 1899, in-8,
p. 172. Te Water (Jona Willem), Historie van het verbond en de
smeekschriften der nederlandsche edelen, ter verkrijging van vrijheid in den
Godsdienst en Burgerstadt in de jaaren 1565-1567. Middelburg, Gillissen,
1776-1796, in-8, 4 vol., II, 314-317 et not e 2. Eekhoff (W.-J.), Geschiedkundige
Beschrijving van Leeuwarden,
de
hoofdstad van Friesland. Leeuwarden, Eekhof, 1846, in-8, 2 vol. II, pp.
388
et 389. Van der Aa, Biographisch Woordenboeck der Nederlanden ...
Haarlem, van Brederode [1858], in-8, III, p. 45.
139
recherches faites dans le rôle et
les arrêts criminels du conseil de Frise pour les années 1556
à 1562 n'ont donné aucun résultat (1).
Haijo Cammingha fut inhumé dans
l'île d'Ameland et la pierre tombale familiale dresse encore aujourd'hui
sa masse imposante dans l'église de Ballum. On y lit ces mots concernant
notre personnage: Ao 1556 DEN 19 DECEMBRIS STERF DEN EEDELEN EERENWHESTEN ENDE
WELGEBOREN HEER, HEER HAIJO VAN CAMMINGHA, HEER VAN AMELANDT (2)
Il serait intéressant de
connaître comment ce Sénèque donné par Érasme
à Haijo Cammingha, se trouve aujourd'hui à Salins. Nous avouons
en être réduit aux conjectures. Il est possible que le volume
ait
été apporté à Salins par Cammingha lui-même.
Il a pu recevoir le présent d'Érasme alors qu'il se trouvait
à Dôle. D'autre part, nous savons que Viglius Zuichem se rendit
à Salins en 1530 pour y visiter les sorces salines.
Il n'est pas impossible qu'avant de se rendre à Bâlé
auprès d'Érasme, Cammingha ait également visité
Salins, et par inadvertance ou autrement, y ait laissé ce livre.
Quoi qu'il en soit, le volume en question
devint plus tard la propriété de ce P. Moreau dont nous avons
relevé le nom sur le titre. Mais qui était ce Moreau?
C'est certainement le même homme
à qui ont apptenu deux incunables et un manuscrit conservés aujourd'hui
à la bibliothèque de Besançon (3).
Le premier de ces incunables est un
exemplaire de'l'édition
1. Communication de M. le Dr. Berns,
archiviste
de la Frise.
2. Je dois le texte de cette
épitaphe à M. le Dr. J. Loosjes, pasteur mennonite à Hollum et
Ballum. La pierre
tombale des Cammingha a été reproduite en carte postale.
3. Castan, Cat. des incunables, de la
bibl. publ. de Besançon. Besançon, 1893, in-8, no. 43,
pp.
28-29, et no. 139, pp. 95-96. Cat. des mss., I, p. 461, no
742.
140
de l' Alexander Magnus de proeliis, s. l. n. typ., 1490, in-4. (Hain 781, Pellechet
448) ;
il porte trois ex-libris : à la fin du volume : Ce présent
livre appartient a L. Mareschal, d'une écriture du XVIe siècle ; sur le titre : Est
Pétri Moreau et sur le fnc. 2 recto : Collegii Dolani Soc. Je
su catalogo inscriptus 1596. L'autre incunable est une édi
tion
de Nicolas de Ausmo, Supplementum summae Pisanellae. Venise, Fr. Renner,
1483, in-fol. Hain* 2165, Pellechet (1638). Il porte deux ex-libris : P. Moreau
et Ad usum fr. Cap. Conventus Salin (puis) Willafinensis (XVIIe
s.). Le ms. no. 742, Concilium Basileense, porte au bas du f. 2 cet
ex-libris Est Petri Moreau, s. p. d. (sacrae paginae doctoris). Ce ms.
provient également des capucins de Salins chez qui il fut trouvé
à la Révolution et attribué aux Archives du Jura, puis
offert à l'évêque constitutionnel Moïse.
L'examen de l'écriture permet
de
dire que ces trois volumes, de même que le Senèque dont
nous parlons, ont appartenu à la même personne.
Il nous paraît possible de
l'identifier avec un chanoine de Saint-Jean-Baptiste de Salins qui, en 1582,
obtint la permission d'ériger un couvent à Salins, comme le
constate le passage suivant du manuscrit 31 (fonds Dunaud) de la
bibliothèque de Besançon : Prieurés et maisons
religieuses. Fnc. 232 bis verso : Salins. Permission
d'ériger un couvent audit Salins en date du 29 may. 1582, 3e vol. des
actes importans du Parlement, fol. 86 verso et 2d ...... reg. fol. 26. Pierre Moureau
chan. de S. Jean baptiste de Salins obtint l'agrément du card. de la baume
archev. de
Besançon, celuy de J. de Vergy gouverneur ; délibération
de la ville, on alla a Lyon en 1582. On obtint du R. P. Jérôme
de
Milan, 2 religieux, on les logea d'abord a l'hêrmîtage de S. Jean
le 2 août 1582. Ils y restèrent un an; transfèré
au
lieu dit S. Pierre le martyr, paroisse que l'on dit la Ier paroisse du pays
.
Ce même Pierre Moreau, aidé
d'un de ses collègues, le chanoine Blondel, avait commencé en
1569 à organiser un collège à Salins (1).
1. Tripard (J.), Notices sur la ville
et les communes du canton de Salins. Paris, Dumoulin, 1881, pp. 217 et
219.
141
C'est chez les capucins du faubourg
Saint-Pierre que la première bibliothèque publique de Salins
fut
établie par les soins du mayeur François Merceret, en 1593. M.
Coindre (1) dit qu'elle s'accrut de divers apports, notamment des collections
des chanoines Moureau et Blondel. Il est vraisemblable que ce fut après
la mort de Pierre Moreau, puisque, nous l'avons vu, l'Alexander Magnus
appartint après lui aux jésuites de Dôle et non aux
capucins de Salins, et la mort de Moreau eut lieu avant 1596. Cette
bibliothèque des capucins, objet des soins du magistrat, était
devenue fort importante dans la suite puisqu'un inventaire dressé en
1790 y constatait la présence de 4150 volumes (3). Ces trésors
furent dispersés par la Révolution qui amena la ruine et la
destruction du couvent. Des bâtiments, rien ne subsiste aujourd'hui;
des
archives, rien ou presque rien ne paraît avoir été sauvé
(2); de la bibliothèque mise au pillage, il demeurait environ 3.000
volumes en 1831; plusieurs furent transportés à Besanç
on,
peut-être s'en trouve-t-il encore dans d'autres collections de la
Franche-Comté ; les plus beaux sont aujourd'hui dans la
bibliothèque de Salins, et parmi eux le moins précieux n'est
pas
celui auquel nous avons consacré cette note.
1. Coindre (Gaston), Le
vieux Salins. Promenades et causeries. Besançon, Jacquîn,
1904, in-8, pp. 250-253. Voir aussi pp. 101, 251, 252, 313, 315.
2. Gauthier (Jules), Le couvent des cordeliers de Salins, son église et ses monuments
(Extrait du Bull. archéologique, 1896), in-8, pp.1 et 2.
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